Jean-Baptiste Van LOO (Aix-en-Provence, 1684 – 1745)
Pan et Syrinx
Huile sur toile chantournée, mise postérieurement au rectangle, 115 x 133,7 cm
PROVENANCE
- Probablement vente George Michael Moser, Londres (Hutchins), 19-21 mai 1783, n°54 (Vanloo, Syrinx and Pan, in oil) ;
- Collection privée Allemagne du sud jusqu’en mars 2012 (comme François Boucher).
L'ARTISTE
Bien que la plupart de ses premières œuvres ne soient pas identifiées ou soient perdues, nous disposons d'une documentation suffisante pour savoir qu'au cours de sa carrière, l'œuvre de Jean-Baptiste a varié entre la peinture décorative, mythologique, religieuse et le portrait. Dézallier D'Argenville et Dandré-Bardon affirment tous deux qu'il a été initié à l'art de la peinture par son père Louis Van Loo (Amsterdam, 1652-Nice, 1712) à Toulon lorsqu'il avait 8 ans. C'était en 1692, alors que Louis et son frère Jean (Amsterdam, 1654 - ?) travaillaient pour la Marine française, décorant l'intérieur des navires royaux de scènes mythologiques des aventures amoureuses des dieux, de paysages, d'ornements et d'autres motifs. Ces navires étant de véritables "châteaux flottants" destinés à propager la gloire du Roi Soleil par leur opulence, les dessins des images étaient réalisés par Jean Bérain (Lorrain, 1640 - Paris, 1711), le peintre officiel de la Chambre et du Cabinet du Roi, et les Van Loo étaient chargés d'exécuter les peintures proprement dites. On sait qu'ils ont été ainsi employés entre leurs voyages dans le Midi et les îles méditerranéennes de 1682 jusqu'au milieu des années 1790. Pendant toute cette période, ils étaient également occupés à produire des retables pour des institutions religieuses partout où ils allaient, et probablement des portraits. Jean-Baptiste Van Loo lui-même a été directement employé par la Marine à Toulon de 1705 à 1707 pour peindre des navires et décorer des bâtiments tels que l'hôpital naval, ainsi que pour produire des peintures religieuses pour les églises locales.
Cependant, son premier grand programme mythologique indépendant connu est constitué par les plafonds de la coupole et du grand salon du Pavillon Lenfant à Aix-en-Provence, peints en 1711-1712, qui représentent les histoires des fils de Zeus, Hermès et Apollon. Au-dessus de la cage d'escalier à double spirale se déroule l'histoire d'Hermès, dieu du commerce, de la richesse, de la chance, de la fertilité, des troupeaux, du sommeil, du langage, des voleurs et des voyageurs, et inventeur d'instruments dont la lyre et la syrinx. C'est dans ce contexte que la "syrinx" apparaît pour la première fois dans son œuvre, à notre connaissance ; il s'agissait d'un instrument fabriqué à partir de tubes collés ensembles inventé pour son propre amusement lors d'un tour joué à son frère Apollon. Au-dessus du grand salon, on peut voir l'histoire d'Apollon.
Réalisé dix ans plus tôt que le tableau de
Pan et Syrinx, ce décor de plafond présente une similitude frappante dans la conception des formes, des types de figures et du mouvement, elles sont manifestement de la même main.
OEUVRE EN RAPPORT
Le pendant de notre tableau représentant une
Diane et Endymion, dans son format original chantourné, 112,5 x 132 cm, fut vendu par la galerie François Heim comme «Carle VANLOO» à Barbara Johnson en juillet 1978. Le nôtre a été légèrement agrandi à l'occasion de sa mise au rectangle, mais ses dimensions originales et son format chantourné sont strictement identiques à ceux du tableau de Heim (fig. 1).
FIG.1.
L'ŒUVRE
Le tableau que nous présentons est un rare témoignage de l’art du peintre-académicien Jean-Baptiste Vanloo, né à Aix-en-Provence en 1684 et mort dans la même ville en 1745. L’œuvre de Jean-Baptiste Vanloo a en effet été occulté par la production particulièrement abondante du petit frère de celui-ci, Carle Vanloo (1705-1765). En outre, le succès de Jean-Baptiste Vanloo l’avait conduit à mener une carrière itinérante à Turin, Rome, Paris, Londres, et Aix-en-Provence, ce qui, paradoxalement, dissémina son œuvre et desservit la mémoire de son nom (sur cette question, voir F. Marandet, « Jean-Baptiste Vanloo (1684-1745) : his draughtsmanship elucidated », Master Drawings, automne 2020, pp. 343-364). Jean-Baptiste Vanloo consacra une bonne partie de ses activités à l’art du portrait, notamment lors de son séjour à Londres entre 1737 et 1742, et là s’explique aussi l’oubli durable de son œuvre de peintre d’histoire. Existent néanmoins certains points de repère, à commencer par La Flagellation commandée en 1714 pour l’église romaine de Santa Maria in Monticelli (in situ, connu par une réduction dans le commerce d’art en 2019) et La Remise des Clefs à saint Pierre, signée datée 1716, qui orne la chapelle du palais royal de Turin (in situ). La période parisienne consécutive, allant de 1719 à 1737, fut marquée par la réalisation, en 1721, du Triomphe de Galatée (Musée de l’Ermitage), tableau qui aurait pu constituer le morceau de réception de Jean-Baptiste Vanloo si le prince de Carignan n’avait pas voulu le garder pour lui. Comme nous l’avons démontré (Marandet, op. cit. p. 346), l’exposition du Repos de Diane après la Chasse au Salon des académiciens de 1737 est trompeuse car elle a longtemps laissé croire que le tableau datait de cette année-là. Aujourd’hui au Musée de Toulon (fig. 2), ce tableau aurait été peint en fait bien plus tôt, peut-être avant 1720.
FIG.2. © Toulon, musée des Beaux-Arts
L’autre point de repère crucial demeure Renaud et Armide, tableau conservé au Musée des Beaux-arts d’Angers (fig. 3). L’histoire de ce tableau est intimement liée aux activités du marchand-restaurateur Joseph-Ferdinand Godefroid, lui-même ami de Jean-Baptiste Vanloo, qui achetait les tableaux du comte de Morville pour les revendre à Robert Walpole, Premier Ministre des rois George 1er et George II d’Angleterre (voir F. Marandet, « De Paris à Houghton Hall, le circuit des tableaux du comte de Morville », La Revue de l’Art, juin 2011, p. 31-37). Lors de son séjour à Londres, l’une des plus prestigieuses commandes reçues par Jean-Baptiste Vanloo fut justement le portrait de Robert Walpole. Mais surtout, Renaud et Armide fut conçu comme pendant à L’Enlèvement d’Europe de Noël-Nicolas Coypel, le plus important tableau français contemporain appartenant au comte de Morville (aujourd’hui au Musée de Philadelphie). Sachant que le tableau de Coypel, peint pour le fameux concours de 1727, fut acquis par le comte de Morville à l’issue de celui-ci, il y a lieu d’imaginer que le pendant fut peint dans la foulée, d’autant que le comte de Morille mourut peu après, en 1732. Or, notre tableau a toutes les chances de se situer, chronologiquement parlant, entre Le Repos de Diane et Renaud et Armide. La nymphe assise sur la gauche, la silhouette du vieux saule qui clôt la scène, et le plan d’eau entre le spectateur et les différentes figures sont autant de motifs que l’on trouve dans notre tableau et la composition du Musée de Toulon. D’un autre côté, l’effet de lumière dorée et l’échelle réduite des figures tend à les éloigner un peu dans le temps. A bien considérer Renaud et Armide, on remarque cette fois d’autres analogies avec notre tableau. Jean-Baptiste Vanloo a réemployé le procédé du plan d’eau placé entre la scène et nous, mais l’échelle des figures est cette fois bien plus proche de celle de Pan et Syrinx. En outre, la dimension plus mouvementée réunit davantage les deux tableaux. Dans l’un, Syrinx fuit les assauts de Pan, tandis que dans l’autre, les amours s’agitent et voltigent au pourtour des amants. Outre l’aspect argenté des draperies, on relève des analogies supplémentaires et notamment la nymphe au « profil perdu » qui prend appui sur son bras droit replié : dans notre tableau, elle montre du doigt les deux protagonistes ; dans le tableau d’Angers, elle est à nouveau témoin de la scène fondée sur l’idée de désir. Autre point commun, l’arbre oblique au tronc si volumineux : bien en vue dans Pan et Syrinx, il resurgit dans le jardin d’Armide, et on remarque à nouveau le détail des petites touches évocatrices du lierre à la surface du tronc. A ce faisceau d’indices, qui laisse penser que notre tableau se place aux alentours de 1725, on en ajoutera un dernier : l’existence d’un tableau de Vanloo représentant Pan et Syrinx, dans une vente londonienne remontant à 1783 (voir notre rubrique provenance). Etant donné le séjour de Jean-Baptiste Vanloo à Londres, la peinture a toutes les chances d’avoir procédé de lui plutôt que de Carle, dont les œuvres ne furent guère diffusées en Angleterre. L’identification de ce témoignage de Jean-Baptiste Vanloo ne nous permet pas seulement de redécouvrir son œuvre mal connu de peintre d’histoire. Il montre aussi la dette de Carle Vanloo envers son frère aîné : ses tout premiers tableaux réalisés dans la seconde moitié des années 1720 – on songe au Bain de Bethsabée conservé au Musée Bossuet, à Meaux – sont largement tributaires des motifs de Jean-Baptiste Vanloo. La discrète participation de Carle Vanloo aux œuvres de son frère, à cette époque-là, n’est d’ailleurs pas complètement exclue.
FIG.2. © Angers, musée des Beaux-Arts
Les Van Loo et l'Académie soulignaient l'importance du dessin dans l'apprentissage de la peinture. De 1720 à 1723, période à laquelle Jean-Baptiste a peint Pan et Syrinx, Carle avait entre 15 et 17 ans. Il n'est donc pas surprenant de trouver au Musée des Arts Décoratifs de Paris un dessin signé mais non daté de Carle représentant Pan et Syrinx (fig. 3), qui constitue une œuvre d'art à part entière. Il n'est pas non plus surprenant de constater que les premières peintures d'histoire connues de Louis Michel Van Loo présentent un traitement similaire des figures et de l'action, notamment dans son tableau lauréat du Prix de Rome en 1725, Moïse piétinant la couronne du pharaon (localisation actuelle inconnue) et son morceau de réception, Apollon poursuivant Daphné (Paris, ENSBA) ( fig. 4).
FIG.3. © Paris, musée des Arts Décoratifs
FIG.4. © Paris, ENSBA
PHOTOGRAPHIES DE DÉTAILS
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