Louis ELLE dit FERDINAND l’Aîné (Paris 1612 – 1689 Paris)
Portrait d’Elizabeth d’Orléans, mademoiselle d’Alençon, duchesse de Guise (Paris 1646-1696 Versailles)
Huile sur toile, 55 x 46 cm
Exécuté vers 1675
PROVENANCE
- Vente anonyme, Versailles, Blache commissaire-priseur, 17 juin 1981, lot 6 ;
- Vente Paris, Ader Nordmann, hôtel Drouot, 16 décembre 2016, lot A24. comme attribué à Charles Beaubrun ;
- France, collection particulière.
Notre portrait déjà présenté avec une autre identification du modèle, n’en conserve pas moins ses textes d’introduction.
D’une beauté rayonnante et pleine qui faisait chavirer les cœurs au milieu du XVIIe siècle, souriante et somptueusement parée, le modèle de notre portrait fascine, tout en conservant une part de mystère. Rien ne permet de percer son anonymat, mais ses riches atours indiquent une personne de qualité, issue sans doute de l’un des meilleurs lignages du royaume. Elle est en effet vêtue avec toute l’élégance des premières années du règne de Louis XIV d’une robe de soie brodée de fil d’or et d’argent aux manches bouffantes cerclées de parures de rubis, saphirs et perles. Un grand pendant de diamants et de grosses perles orne le devant du corsage, tandis qu’une cape de drap d’or brodée d’argent et doublée de soie cramoisi recouvre l’épaule droite, donnant davantage d’éclat à cet étalage de richesses digne d’une princesse.
Tout ce luxe ostentatoire n’occupe pourtant que le quart inférieur du portrait et ne dépasse guère la guimpe en fine mousseline couleur brun tanné qui souligne plutôt que recouvre le décolleté. Au-delà, la clarté merveilleuse des carnations « de lys et de roses » rivalise sans peine avec la blancheur des perles qui parent le cou de la jeune femme, ses oreilles et ses cheveux. La lumière froide venant d’en haut à gauche rutile sur les chairs, s’étiole dans les perles, effleure les lèvres carmines, flamboie dans les yeux du modèle bordés d’épais cils soyeux et glisse dans les cheveux qui s’échappent en mèches ondulantes de la coiffure sophistiquée.
Cette lumière vibrante et latérale qui relève les textures, pénètre dans l’épaisseur de l’iris et crée des ombres chaudes et transparentes, mais aussi cette touche fondue et vandyckienne sont caractéristiques de l’un des portraitistes les plus recherchés de l’époque et distinguent sa manière de l’art des frères Beaubrun qui affectionnaient la description minutieuse et les chairs porcelainées. Il s’agit de Louis Elle dit Ferdinand, et la confrontation avec ses œuvres contemporaines signées au revers de la toile (ill. 1) ne laisse guère de doute quant à la parenté de notre portrait et à son autographie.
Surnommés « Ferdinand » ou « Elle Ferdinand », les Elle sont une famille de peintres d’origine flamande actifs entre 1601 et 1717. Le premier de la lignée, Ferdinand Elle (vers 1580-1637), probablement originaire de Malines, vint en France au tout début du XVIIe siècle. Protestant, il œuvra d’abord à Fontainebleau, avant de s’installer dans le quartier parisien de Saint-Germain-des-Prés dont la maîtrise, profitant des franchises concédées par l’abbaye, accueillait volontiers les peintres étrangers à l’inverse de la corporation parisienne. Son nom manquant d’originalité, il se fit connaître sous son prénom de Ferdinand, repris ensuite par ses descendants pour mieux marquer la continuité de l’atelier : ses deux fils, Louis Elle l’Aîné ou le Père et le graveur Pierre Elle (1617-1665), puis le fils de Louis, Louis Elle le Jeune (1649-1717).
Portraitiste renommé, maître à la corporation de Saint-Germain, Louis Elle l’Aîné œuvrait pour les grandes familles parisiennes, les courtisans les plus éminents et les membres de la famille royale, parmi lesquels la Grande Mademoiselle, la reine Marie-Thérèse d’Autriche, Philippe, frère de Louis XIV, et le souverain lui-même. Dès février 1648, l’artiste appartenait à l’Académie de peinture et de sculpture, qui l’élit professeur en 1659. Le durcissement de la politique royale à l’égard des protestants mena cependant à son exclusion le 10 mars 1681, lui faisant perdre une partie de sa clientèle et les commandes officielles. Elle Ferdinand abjura deux mois et demi après la révocation de l’édit de Nantes le 18 octobre 1685, ce qui permit sa réintégration immédiate à l’Académie et un retour en grâce, dont témoigne le Portrait de la marquise de Maintenon accompagnée de sa nièce commandé en 1688 pour la Maison royale de Saint-Cyr (Versailles, inv. MV 2196).
L’ŒUVRE
Notre tableau, bien que moins solennel et codifié que la plupart des œuvres de Louis Elle et surtout en petit buste et non cadré aux genoux, composition préférée de l’artiste qui fut également celle des frères Beaubrun, n’en est pas moins l’un des plus intimistes de l’artiste. Avec son fond neutre et sombre qui rapproche le modèle du spectateur, le cadrage serré met plus que jamais l’accent sur le regard pénétrant et plein d’esprit du modèle, d’ailleurs probablement peint ad vivum, dans lequel on a parfois voulu reconnaître Madame de Sévigné. Nous y voyons l’une des plus belles réalisations de Louis Ferdinand l’Aisné, si ce n’est son plus beau morceau d’un corpus encore mal identifié
L’identité du modèle nous est dévoilée par le Triple portrait dans des encadrements chantournés représentant trois des quatre filles de Gaston d’Orléans (fig. 1.) : Marguerite Louise d’Orléans, Marie-Madeleine d’Orléans et Elisabeth d’Orléans (Tajan, 18 dec 2018, lot 30, 54,5 x 168,5 cm, dans Le Goût de Pierre Mignard) passé en vente publique en 2018.
fig. 1. © Tajan
Comme le révèlent les inscriptions au verso, le modèle de droite est bien celui d’Elisabeth d’Orléans, mademoiselle d’Alençon, duchesse de Guise (fig.2.). La comparaison avec notre peinture vient donc confirmer l’identité du modèle. Malgré que nous ne l’ayons vu en vrai, tout indique que ce triple portrait ait été peint d’après ou soit un original de Louis Ferdinand l’Aîné. Au revers de la toile, différentes inscriptions donnant le nom des modèles et monogrammes couronnés au LPO (liés), pour Louis-Philippe d'Orléans, C. M (Château de Madrid) (fig.2.), décrits ainsi dans le catalogue de la vente :
Provenance
Commande et collection du roi Louis-Philippe pour le château d'Eu ;
Château de Madrid, d'après un monogramme au revers
Les modèles sont trois des quatre filles de Gaston d'Orléans, qui portait le titre de duc d'Orléans comme Louis-Philippe.
Bibliographie
Jean Vatout, "Le Château d'Eu Notices historiques", tome troisième, Paris, 1836.
Cette série de portraits était conservée en triple exemplaires, la première décrite par Vatout étant la plus ancienne, car collectionnée par Mademoiselle de Montpensier au début du XVIIe siècle.
Marguerite Louise d'Orléans, duchesse de Toscane, n°210, p 277, ou bien 210 bis ou 210 ter, p.283. Pour les trois séries, il est précisé: "elle est représentée avec ses deux sœurs, Mademoiselle d'Alençon et Mademoiselle de Valois".
Françoise-Madeleine d'Orléans (Mademoiselle de Valois), volume 3, n°213, p.291, ou bien 213 bis ou 213 ter, p.294
Elisabeth d'Orléans (Mademoiselle d'Alençon, duchesse de Guise), n°212, p.287, ou bien 212 bis, 212 ter, p.289.
fig. 2. © Tajan
Bibliographie générale (œuvre inédite)
- Elodie VAYSSE, Les Elle « Ferdinand », la peinture en héritage. Un atelier parisien au Grand Siècle (1601-1717), thèse de l’École des chartes, dir. Alain Mérot, 2015.
- Jean AUBERT,
Emmanuel COQUERY, Alain DAGUERRE DE HUREAUX (dir.), Visages du Grand Siècle. Le portrait français sous le règne de Louis XIV. 1660-1715, cat. exp. Nantes, musée des Beaux-Arts, Toulouse, musée des Augustins, Paris, Somogy, 1997.
PHOTOGRAPHIES DE DÉTAILS
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